Madame, Monsieur,
La négociation interprofessionnelle au titre de l’article L1 du code du travail sur « l’emploi des séniors, les transitions et reconversions professionnelles, la prévention de l’usure professionnelle et le Compte Epargne Temps Universel (CETU) » n’a pas permis de trouver un accord entre organisations syndicales et patronales.
Lors des discussions, la CPME a affirmé dès le départ, et sans aucune ambiguïté, son hostilité à la volonté du gouvernement de mettre en place un CETU « obligatoire, opposable et portable », applicable à toutes les entreprises. Si l’idée du CETU n’est pas à écarter pour les entreprises qui souhaitent le mettre en place de manière volontaire, son caractère obligatoire et portable n’est pas acceptable. Son application poserait de trop grandes difficultés, notamment aux plus petites entreprises.
Les trois organisations (CPME, MEDEF et UP) composant la délégation patronale s’étaient initialement accordées sur une même position de rejet du CETU tel qu’imaginé par le gouvernement. Mais l’U2P, soucieuse avant tout de se montrer à l’écoute des organisations syndicales de salariés, a, par la suite, fait évoluer sa position en faisant cavalier seul. De manière pour le moins surprenante au regard des difficultés que cela pourrait poser aux TPE, l’U2P considère désormais « que ce dispositif contribuera à accroitre l’attractivité des TPE auprès des salariés » (communiqué U2P du 18 mars 2024). Elle a donc fait le choix de « négocier » directement avec les organisations syndicales de salariés.
Vous trouverez ICI le projet d’accord U2P ouvert à la signature.
De notre côté, et plus que jamais au vu de ce texte, nous réitérons notre opposition, non pas de principe, mais de pratique à la mise en place d’un CETU obligatoire et généralisé, nouvelle contrainte sur les entreprises y compris les plus petites d’entre elles.
A nos yeux, et au-delà du fait que nous considérons que le rôle d’une organisation patronale n’est pas de prôner de nouvelles obligations pour les entreprises, les obstacles qui rendent inapplicables un tel dispositif sont nombreux :
- comment valoriser, par exemple en 2054, une heure à 15€ placée sur son CETU trente ans plus tôt, en 2024, et ce alors même qu’un salarié aura pu évoluer, changer de statut et de rémunération ? Une simple revalorisation ne suffira pas pour compenser et maintenir intégralement le dernier salaire. Le dernier employeur devra-t-il abonder financièrement ? Une ambiguïté subsiste dans l’accord U2P qui évoque une « monétisation du CETU correspondant à un nombre de jours ».
- comment remplacera-t-on un salarié d’une TPE/PME souhaitant activer son CETU et s’absenter entre 1 mois et 12 mois (!) de son entreprise ? Imagine-t-on vraiment trouver, sur le pouce, par exemple, un cuisinier ou un chef de rang remplaçant dans un restaurant ? Et si l’employeur parvient à trouver un remplaçant, qu’adviendra-t-il de lui par la suite ? Et que se passera-t-il si plusieurs salariés d’un TPE de 3 salariés souhaitent en même temps utiliser leur CETU ?
- pense-t-on vraiment qu’une entreprise embauchera un salarié avec 35 ans d’expérience sans possibilité de savoir ce qu’il a sur son CETU, prenant ainsi le risque de le voir s’absenter jusqu’à 12 mois sans avoir la capacité de s’y opposer ? Alors que le sujet de la négociation était l’emploi des séniors et que l’objectif commun était d’augmenter le taux d’activité, le CETU aurait l’effet contraire, en désincitant à l’embauche des séniors, potentiellement porteurs de CETU chargés à bloc.
Il est aussi à souligner que dans l’accord U2P, l’employeur n’aura pas capacité à s’opposer à la prise de CETU. Ainsi un salarié pourra décider de s’absenter 5 semaines en prévenant simplement son employeur 1 mois avant, ce qui, dans un TPE, est totalement ingérable. De la même façon il est probable que de nombreux salariés utiliseront leur CETU en l’accolant à une période de CP, ce qui, par exemple, en période estivale pourrait gravement désorganiser l’entreprise. Contrairement aux CP, l’employeur ne pourra pas refuser une prise de CETU qui s’imposera à lui.
De plus, vraisemblablement, un salarié absent pour cause de CETU continuera à acquérir des congés payés durant son absence au même titre, désormais, qu’une absence au titre d’un arrêt maladie. Cela sera donc une charge supplémentaire pour le dernier employeur.
Par ailleurs, si le fait que le CETU passe par la DSN en simplifierait la mise en place, il n’en reste pas moins que son utilisation, variable en fonction de la durée d’ancienneté du salarié et de motifs particuliers (distinction entre les salariés justifiant des dérogations au délai de prévenance et à l’ancienneté nécessaire) constituera une nouvelle usine à gaz. Il est donc faux de dire que « le CETU ne fait l’objet d’aucune démarche administrative supplémentaire de l’employeur ». Nous sommes bien là, au contraire, aux antipodes de la démarche de simplification pour laquelle milite la CPME.
Il est également intéressant d’observer que l’u2P souhaite mettre en place une « gouvernance paritaire politique du CETU pour enrichir et faire évoluer le dispositif en matière de modalités d’alimentation et d’utilisation ». La CFDT et la CGT ont déjà fait savoir qu’elles souhaitent voir le futur CETU alimenté via une 6e semaine de congés payés !
Enfin il est à noter, et j’attire votre attention sur ce point, que dès lors que cet accord aura été signé et que les conditions de son application seront rendues possibles, sans attendre une hypothétique reprise par la loi, il deviendra automatiquement applicable aux seules entreprises adhérentes à l’U2P, de manière directe ou par l’intermédiaire de leur fédération professionnelle elle-même adhérente à l’U2P.
Je ne saurais donc trop vous engager à faire savoir le plus largement possible autour de vous la position qui est la nôtre et pourquoi la mise en place du CETU, version U2P, serait un nouveau boulet accroché au pied de toutes les entreprises et notamment des TPE, artisans et commerçants.
Restant à votre disposition pour toutes précisions complémentaires,
Bien cordialement.
François Asselin